Nguyễn Văn Vĩnh est né le 15 juin 1882 dans une famille pauvre du Tonkin. Vers l'âge de huit ans, il commença à travailler au Collège des Interprètes du Tonkin, fondé en 1886 à Yên Phụ, près de Hanoi. Vĩnh aurait ainsi bénéficié des enseignements dispensés dans cette école, en les écoutant du fond de la classe, tout en balayant ou en tirant le panka ; s'étant aperçu des immenses possibilités de l'enfant, l'équipe enseignante aurait décidé de prendre en charge sa formation. Diplômé du Collège des Interprètes à 14 ans, Vĩnh fut immédiatement affecté dans l'Administration coloniale, qu'il quitta cependant en 1906 pour se consacrer au journalisme.
Devenu journaliste, puis rédacteur en chef, Nguyễn Văn Vĩnh exprima avec brio ses idées politiques et sa vision culturelle ; francophile et excellent traducteur, il s'affirma également comme homme politique et homme d'affaires de premier plan à Hanoi, avant de faire faillite au début des années 1930, emporté par la tourmente de la grande crise de 1929. Ruiné, il se fit alors chercheur d'or au Laos afin de refaire sa fortune, mais le sort en décida autrement puisqu'il y succomba le 2 mai 1936 des suites d'une dysenterie…
Considéré à tort comme un collaborateur servile de la colonisation française, son œuvre fut longtemps occultée par l'historiographie officielle ; Vĩnh passa toutefois à la postérité pour avoir été l'auteur d'une phrase lapidaire et visionnaire énonçant que l'avenir du Việt Nam, bon ou mauvais, serait lié à l'usage du quốc ngữ (« Nước Nam ta mai sau này hay dở cũng ở chữ quốc ngữ »). Et l'avenir lui a bien donné raison puisque, à présent, la langue vietnamienne n'est plus écrite que sous sa forme romanisée.
Nguyễn Văn Vĩnh fut un personnage phare de l'Indochine de la première moitié du XXe siècle ; les multiples facettes du personnage en témoignent : il fut tout à la fois un précurseur et un guide dans le monde de la presse et de l'édition, un acteur essentiel du développement du quốc ngữ, un homme de contact, véritable pont entre les cultures vietnamienne et française, un traducteur hors pair et un journaliste de talent, un vulgarisateur éclairé, véritable éducateur du peuple, un patriote francophile, mais également un homme d'affaires (éditeur et imprimeur) et un intellectuel engagé (élu politique, membre de la Ligue des Droits de l'Homme, membre de la Loge Confucius), conscient de ses responsabilités pour l'avenir de son pays.
Il laisse derrière lui une œuvre immense composée de fines analyses littéraires, linguistiques, philosophiques, sociologiques ou politiques, que l'on retrouve au fil des articles qu'il écrivit dans les nombreux journaux et revues auxquels il participa ou qu'il dirigea (parmi lesquels : Ðại Nam Ðăng Cổ Tùng Báo, en 1907 ; Lục Tỉnh Tân Văn, à partir de 1910 ; Ðông Dương Tạp Chí, de 1913 à 1919 ; Trung Bắc Tân Văn à partir de 1915 ; L'Annam Nouveau, qu'il fonda en janvier 1931). Il participa également aux débats d'idées et aux conférences de la Société d'Enseignement Mutuel du Tonkin et de l'école Ðông Kinh Nghĩa Thục.
La partie la plus connue de son œuvre reste cependant ses traductions inégalées des Fables de La Fontaine, des Contes de Perrault, des comédies de Molière (qu'il adapta également à la scène vietnamienne), et de grands auteurs français comme Rabelais, Pascal, Lesage, Hugo, Dumas, etc. Nombre de ses traductions furent publiées ou rééditées dans le cadre de la collection « La Pensée de l'Occident », qu'il co-dirigeait avec l'administrateur colonial Émile Vayrac à partir de 1926.
Vĩnh passa la plus grande partie de sa vie à permettre aux Vietnamiens de mieux comprendre la culture française, en s'appuyant notamment sur la littérature comme passerelle interculturelle. Par l'excellente traduction en français qu'il fit du grand roman national vietnamien, le Kim Vân Kiều de Nguyễn Du, il permit également aux Français de bien mieux comprendre la culture vietnamienne.
Emmanuelle Affidi, mai 2008